VII / PATHOLOGIES DE LA CORNEE
KERATITE PONCTUEE SUPERFICIELLE
Erosions ou lésions punctiformes disséminées de l'épithélium cornéen de 1 ou des 2 yeux.
Etiologie, symptomatologie
La kératite ponctuée superficielle est une manifestation non spécifique. Elle est souvent causée par une conjonctivite virale ; une blépharite ; une kératite sèche ; un trachome ; une exposition aux rayons UV (p. ex. soudure à l'arc, lampes solaires) ; un excès de port de lentilles de contact ; des médicaments systémiques (p. ex. la vidarabine) ; et des médicaments topiques ou une toxicité due aux conservateurs. Les symptômes comprennent photophobie, sensation de corps étranger, larmoiement, injection conjonctivale et diminution de l'acuité visuelle. Une adénopathie prétragienne peut être observée en cas d'atteinte virale. La kératite due aux ultraviolets est retardée de plusieurs heures par rapport à l'exposition ; elle dure de 24 à 48 h. La perte définitive de la vision est rare, quelle que soit la cause.
Traitement
La kératite ponctuée superficielle due à une infection conjonctivale à adénovirus (le type le plus fréquent de conjonctivite virale) guérit spontanément en environ 3 semaines. La blépharite (v. Ch. 94), le trachome (v. Ch. 95), et la kératite sèche (v. plus loin) nécessitent un tt spécifique. L'exposition aux ultraviolets est traitée par des cycloplégiques à courte durée d'action, des pommades ophtalmiques à antibiotiques, et une occlusion pendant 24 h. Si elle est causée par l'abus de lentilles de contact, le tt est une pommade antibiotique (p. ex. tobramycine à 0,3 % 3 fois/j), mais l'oeil n'est pas bandé à cause de l'incidence élevée d'infections graves. Ces patients doivent être vus le jour suivant. Si une kératite ponctuée superficielle est due à un tt local ou à un agent conservateur, le produit devra être arrêté.
ULCERES CORNEENS
Nécrose locale de la cornée liée à une surinfection par des bactéries, des champignons, des virus, ou Acanthamoeba.
Etiologie
Les ulcères cornéens bactériens sont le plus souvent provoqués par Staphylococcus, Pseudomonas, ou Streptococcus pneumoniae. Le port des lentilles de contact pour dormir, la stérilisation inadéquate de celles-ci, un traumatisme cornéen, ou un corps étranger cornéen provoquent souvent l'invasion et l'infection bactérienne. Les ulcères cornéens peuvent également compliquer une kératite herpétique, une kératite neurotrophique, une blépharite chronique, une conjonctivite (en particulier bactérienne, p. ex. gonococcique), un trachome, une kératopathie phlycténulaire et une pemphigoïde cicatricielle. Les ulcérations cornéennes peuvent également être consécutives à un trouble de la trophicité cornéenne secondaire à une carence en vitamine A ou en protéines. Les ulcères cornéens peuvent aussi être provoqués par des anomalies palpébrales comme l'entropion, la trichiasis, et l'exposition cornéenne due à une fermeture incomplète des paupières (p. ex. lagophtalmie, signe de Charles Bell, malformations palpébrales suite à un traumatisme, exophtalmie).
Symptomatologie
Des douleurs, une photophobie, un larmoiement ou une sensation de corps étranger sont présents mais parfois minimes au début. L'ulcération cornéenne débute par une opacité superficielle très grisâtre, bien circonscrite, qui se nécrose secondairement, suppure et aboutit à la formation d'une ulcération excavée. Une anomalie de l'épithélium cornéen superficiel est présente et se colore en vert avec la fluorescéine (v. Ch. 90 pour la méthodologie). Une injection ciliaire massive est habituelle, et des vaisseaux peuvent à la longue se développer à partir du limbe (pannus). L'ulcère peut s'étendre à la périphérie de la cornée ou pénétrer en profondeur ; du pus apparaît parfois dans la chambre antérieure de l'oeil (hypopyon).
L'infection herpétique peut provoquer une ulcération sans infiltration extensive (v. plus loin). Les ulcères cornéens fongiques, qui sont plus chroniques que les bactériens, s'accompagnent d'une infiltration dense parfois associée à de petits îlots d'infiltration en périphérie (lésions satellites). Les ulcères cornéens provoqués par Acanthamoeba sont très douloureux et peuvent présenter des malformations transitoires de l'épithélium cornéen, de multiples infiltrats cornéens du stroma et, par la suite, un grand infiltrat en forme d'anneau.
Complications et traitement
Plus l'ulcère est profond, plus les symptômes et les complications sont graves. Les ulcères de cornée cicatrisent en laissant place à un tissu fibreux, provoquant une opacification partielle de la cornée et une diminution de la vision. Une iritis, une iridocyclite, une perforation cornéenne avec prolapsus de l'iris, un hypopyon, une panophtalmie et une destruction de l'oeil surviennent parfois avec ou sans tt. Les ulcères d'origine fongique sont torpides mais graves ; ceux provoqués par P. Aeruginosa sont particulièrement virulents, et ceux associés à la kératite herpétique posent des problèmes thérapeutiques souvent difficiles. Le tt des ulcères cornéens est une urgence qui ne doit être confiée qu'à un ophtalmologiste.
KERATITE A HERPES SIMPLEX
(Kératoconjonctivite à Herpes simplex)
Infection à virus Herpes simplex de la cornée, d'un grand polymorphisme clinique provoquant habituellement une inflammation cornéenne chronique, une néovascularisation, un remaniement cicatriciel et un déficit visuel.
Symptomatologie
L'infection initiale (primaire) se manifeste habituellement par une conjonctivite d'allure banale spontanément résolutive, généralement accompagnée d'une blépharite vésiculaire. Les récidives (les infections secondaires) prennent habituellement la forme d'une kératite épithéliale (également appelée kératite dendritique), avec ulcération caractéristique de l'épithélium cornéen, dentelée en feuille de fougère. Au début apparaissent une sensation de corps étranger, un larmoiement, une photophobie, et une injection conjonctivale. En cas de récidives multiples, une hypoesthésie ou une anesthésie de la cornée, une ulcération et des cicatrices définitives peuvent en résulter. La kératite disciforme, qui implique le stroma cornéen, est une aire d'oedème et d'opacification cornéens profonds, de forme circulaire, associée à une iritis ; elle fait généralement suite à une kératite épithéliale. La kératite disciforme constitue probablement une réaction immunologique à la présence du virus. Une anomalie épithéliale non provoquée par le virus Herpes simplex en réplication qui ne guérit pas ou qui guérit lentement est appelée ulcère non douloureux.
Traitement
Le tt topique (p. ex. trifluridine à 1 % en collyre 9 fois/j ou vidarabine à 3 % en pommade 5 fois/j) est généralement efficace. Parfois, l'administration d'acyclovir 400 mg 5 fois/j per os est indiquée. Si l'épithélium entourant l'ulcère dendritique est plissé et oedémateux, le débridement par écouvillonnage doux à l'aide d'un coton-tige avant le début du tt médicamenteux peut accélérer la cicatrisation. Les corticoïdes locaux sont contre-indiqués dans la kératite dendritique, mais ils sont parfois efficaces en association avec un agent antiviral en cas d'atteinte du stroma (kératite disciforme) ou de l'uvée. L'instillation d'atropine à 1 %, 3 fois/j, est utile en cas d'uvéite. L'absence de cicatrisation après 1 semaine de tt, ou l'atteinte de l'uvée ou du stroma, nécessitent le recours à un ophtalmologiste
ZONA OPHTALMIQUE
(HERPES ZOSTER)
(Herpès zostérien ophtalmique, herpès zostérien viral ophtalmique, ophtalmie à virus varicelle-zona)
Infection à virus varicelle-zona qui touche l'oeil.
(V. aussi Zona sous Infections a herpes virus, Ch. 162.)
La dermatite du front provoquée par le virus varicelle-zona affecte l'oeil dans 50 à 75 % des cas. Cependant, lorsque le nerf nasal est atteint, comme l'indique une éruption de la pointe du nez, l'oeil est atteint dans 3/4 des cas. Chez 1/3 des patients, s'il n'y a pas de lésion de la pointe du nez, l'oeil est impliqué.
Symptomatologie
oedème palpébral marqué ; hyperémie conjonctivale, épisclérale, et péricornéale ; oedème cornéen ; kératite épithéliale et stromale ; uvéite ; glaucome ; et douleurs peuvent être présents pendant la phase aiguë de la maladie. La kératite associée à une uvéite peut être grave et laisser des lésions cicatricielles. Le glaucome, une cataracte, une uvéite chronique ou récidivante et des cicatrices cornéennes, une néovascularisation et une hypoesthésie de la cornée sont des séquelles tardives fréquentes, avec menace de perte de vision, traitables.
Traitement
Le tt précoce par valacyclovir 1 g per os 3 fois/j, acyclovir 800 mg per os 5 fois/j ou famcyclovir 500 mg per os 3 fois/j pendant 7 j, diminue les complications. Contrairement à l'herpès, la kératite ou l'uvéite du zona sont une indication des corticoïdes, sans tt antiviral local associé. Le tt local (p. ex. instillation de gouttes de dexaméthasone à 0,1 % toutes les 2 h au début) est habituellement efficace. La pupille doit être maintenue dilatée par une solution d'atropine à 1 %, ou de scopolamine à 0,25 à 1 %, 1 goutte 3 fois/j. La pression intra-oculaire doit être surveillée.
Chez les patients > 60 ans et en bon état général, une brève corticothérapie à forte dose (p. ex. prednisone 60 mg/j pendant 7 j, puis 45 mg pendant les 7 j suivants, et enfin 30 mg pendant les 7 derniers jours) peut prévenir les névralgies post-herpétiques sévères.
KERATOCONJONCTIVITE SECHE
(Kératite sèche)
Dessèchement chronique, bilatéral, de la conjonctive et de la cornée dû à un volume lacrymal insuffisant (kératoconjonctivite sèche par hyposécrétion lacrymale) ou à une perte excessive de larmes par évaporation accélérée à cause d'une altération qualitative des larmes (kératoconjonctivite sèche d'évaporation).
Symptomatologie
Les patients se plaignent de prurit, brûlure, photophobie, sensation de sable dans l'oeil, pression derrière l'oeil, ou de sensation de corps étranger. Certains patients notent une sécrétion lacrymale excessive après une irritation grave. Les symptômes sont aggravés par des efforts de vision prolongés, comme lire, travailler sur ordinateur, conduire, ou regarder la télévision. Dans les endroits poussiéreux, enfumés ou secs, p. ex. dans les avions, les centres commerciaux, les jours où le taux d'humidité est faible, et lorsque les climatiseurs (surtout dans les automobiles), les ventilateurs, ou le chauffage sont utilisés, les symptômes peuvent s'aggraver. Certains médicaments systémiques comme l'isotrétinoïne, les calmants, les diurétiques, les hypotenseurs, les contraceptifs oraux, et tous les anti-cholinergiques (y compris les antihistaminiques et de nombreux médicaments pour le système digestif) peuvent aggraver les symptômes. Les symptômes peuvent s'améliorer pendant des journées froides, pluvieuses, ou brumeuses ou dans des environnements présentant un fort taux d'humidité, comme la douche. Bien que la kératoconjonctivite sèche provoque rarement une baisse de vision, les patients se plaignent parfois de problèmes de vue car leurs yeux sont très irrités.
Diagnostic
Dans les 2 formes de kératoconjonctivite sèche, la conjonctive est hyper-émique et il y a souvent des petites pertes éparses et ponctuées d'épithélium cornéen (kératite superficielle ponctuée) et/ou conjonctival. Les zones impliquées sont surtout situées entre les paupières (la zone intrapalpébrale ou zone d'exposition), et ces zones se colorent à la fluorescéine. Les patients clignent très souvent des yeux ; cependant, dans de rares cas, la sécheresse oculaire est provoquée par un manque de clignement.
Dans la kératoconjonctivite sèche par manque de larmes, la conjonctive peut apparaître sèche et sans brillance avec des sillons redondants. Cette forme de kératoconjonctivite sèche se présente le plus souvent de façon idiopathique isolée et affecte principalement les femmes ménopausées. Moins fréquemment, elle est secondaire à d'autres affections provoquant une cicatrisation des canaux lacrymaux, p. ex. au pemphigoïde cicatriciel ; au syndrome de Stevens-Johnson ou au trachome ; ou peut résulter d'un dysfonctionnement ou de la détérioration d'une glande lacrymale, p. ex. réaction du greffon contre l'hôte, après radiothérapie locale, ou dans la dysautonomie familiale.
Le test de Schirmer utilise des bandelettes de papier filtre standardisé placées, sans anesthésie, à la jonction du tiers médian et externe de la paupière inférieure. Lorsque l'humidification de la bandelette ne dépasse pas 5 mm en 5 min, à 2 reprises successives, le diagnostic d'oeil sec est confirmé. Dans des cas rares, un dessèchement sévère, avancé, et chronique peut mener à la kératinisation de la surface oculaire ou à la perte de l'épithélium cornéen avec cicatrisation, vascularisation, infection, ulcération, et même perforation. Dans ces cas graves, il se produit une perte significative de l'acuité visuelle.
Dans la kératoconjonctivite sèche due à une évaporation excessive, des larmes abondantes ainsi que de la mousse peuvent se trouver sur les berges palpébrales. Fréquemment, l'affection est associée à une blépharite et à une acné rosacée (v. Ch. 116). Très rarement, dans cette forme d'oeil sec, le dessèchement peut être suffisant pour provoquer une perte d'épithélium cornéen ou une baisse de la vision. Les résultats du test de Schirmer sont généralement normaux. L'instillation d'un petit volume de fluorescéine concentrée peut rendre visible le film lacrymal, révélant une perte excessive de film intact (break-up test lacrymal).
Les patients atteints du syndrome de Sjögren (v. Ch. 50) présentent une kératoconjonctivite sèche avec déficit en larmes et ont la bouche sèche. Ce syndrome peut se présenter isolément (syndrome de Sjögren primaire) ou associé à des pathologies générales du tissu conjonctif comme la polyarthrite rhumatoïde ou SLE (syndrome de Sjögren secondaire). La sérologie et la biopsie des glandes salivaires servent au diagnostic. Les patients présentant les 2 formes du syndrome de Sjögren, primaire et secondaire, ont un risque 40 fois plus élevé que les sujets normaux de développer un lymphome malin non hodgkinien et nécessitent un suivi attentif par leur médecin.
Traitement
Des larmes artificielles administrées souvent peuvent être efficaces dans les 2 formes de kératoconjonctivite sèche. Les larmes artificielles plus visqueuses couvrent la surface oculaire plus longtemps et sont particulièrement utiles dans la kératoconjonctivite sèche d'évaporation. Les pommades à base de larmes artificielles appliquées avant de dormir sont particulièrement utiles quand les patients souffrent de lagophtalmie nocturne et/ou quand ils présentent une irritation le matin au réveil. Ce tt à vie est le plus souvent satisfaisant. Eviter les ambiances sèches, ventilées, et utiliser des humidificateurs peuvent souvent aider. Dans les cas récalcitrants, l'occlusion du canal lacrymonasal est conseillée. Dans les cas graves, la tarsorraphie partielle permet de réduire la perte lacrymale par évaporation.
Les patients présentant une kératoconjonctivite sèche tirent souvent un bénéfice du tt de la blépharite concomitante, comprenant des compresses chaudes, le nettoyage des berges palpébrales, ou la prise orale de tétracyclines (v. Ch. 94).
KERATOCONJONCTIVITE PHLYCTENULAIRE
(Conjonctivite phlycténulaire ou eczémateuse)
Kératoconjonctivite atteignant généralement l'enfant, caractérisée par de petits nodules inflammatoires de la cornée ou de la conjonctive (phlycténules) dus à une réaction d'hypersensibilité à un allergène non identifié.
Des protéines provenant d'une blépharite à staphylocoques, ou d'une TB bactérienne systémique ont été suspectées. La maladie est rare aux USA.
Les phlycténules apparaissent comme des petits nodules grisjaune sur le limbe ou la cornée et la conjonctive bulbaire, et persistent pendant plusieurs jours à 1 ou 2 semaines sur la conjonctive. Elles ont tendance à s'ulcérer sur la conjonctive, mais guérissent sans laisser de cicatrice. Quand la cornée est atteinte, le larmoiement intense, la photophobie et les douleurs peuvent être au premier plan. Les récidives fréquentes, surtout surinfectées, peuvent être responsables d'une opacification cornéenne et d'une vascularisation avec perte de vision.
Le traitement associant des corticoïdes et des antibiotiques locaux est efficace. Le taux de récidive peut être réduit par le tt de la blépharite séborrhéique.
KERATITE INTERSTITIELLE
(Kératite stromale)
Infiltration chronique non ulcérante des couches profondes de la cornée, fréquemment avec inflammation uvéale.
La kératite interstitielle est rare aux USA. La plupart des cas surviennent chez l'enfant comme complication tardive d'une syphilis congénitale (v. Ch. 260). L'atteinte oculaire peut se bilatéraliser. Une kératite bilatérale similaire, mais moins grave, est retrouvée dans le syndrome de Cogan (v. Ch. 50), dans la maladie de Lyme (v. Ch. 157), et dans l'infection au virus d'Epstein-Barr (v. Ch. 265). Plus rarement, la syphilis acquise ou la TB peut provoquer une forme unilatérale chez l'adulte.
La photophobie, les douleurs, le larmoiement et la baisse progressive de la vision sont fréquents. La lésion naît dans les couches profondes de la cornée ; et rapidement, la totalité de la cornée a un aspect dépoli diffus, cachant l'iris. Une néovascularisation se développe à partir du limbe et forme des aires rouge orange (« taches saumonées »). Une iritis, une iridocyclite et une choroïdite sont fréquentes. La néovascularisation et l'inflammation commencent généralement à se résorber après 1 à 2 mois. Une certaine opacité cornéenne peut persister, mais la vision peut rester perturbée même quand la cornée a retrouvé sa transparence. Un ophtalmologiste doit être consulté pour le tt.
KERATITE ULCERANTE PERIPHERIQUE
(Kératolyse marginale ; ulcération rhumatoïde périphérique)
Inflammation cornéenne périphérique avec ulcération souvent associée à une angéite ou à une collagénose.
Les patients se plaignent souvent d'une baisse de la vision, de photophobie, et d'une sensation de corps étranger. Une opacité, due à une infiltration par des GB, et une ulcération colorée en vert par la fluorescéine (v. Ch. 90 pour la méthode), apparaît à la périphérie de la cornée. Les causes infectieuses (p. ex. bactérienne, fongique ou HSV) doivent être éliminées par frottis et culture de la cornée et des bords libres des paupières. La kératite périphérique ulcérante est souvent associée à une angéite ou une collagénopathie active et/ou ancienne telle qu'une polyarthrite rhumatoïde, une granulomatose de Wegener, ou une polychondrite récidivante. Le taux de mortalité élevé des patients atteints d'arthrite rhumatoïde qui développent une kératite périphérique ulcérante (environ 40 % de décès sur 10 ans, principalement par infarctus du myocarde) peut être abaissé à 8 % sur 10 ans grâce aux immunosuppresseurs généraux. Le traitement doit être suivi par un ophtalmologiste.
KERATOMALACIE
(Kératite sèche ; xérophtalmie)
Affection associée à un déficit en vitamine A et à une malnutrition protéino-calorique, caractérisée par une sécheresse de la cornée qui devient floue, sèche et s'abrase progressivement.
Les ulcères cornéens avec surinfection sont fréquents. Les glandes lacrymales et la conjonctive sont également atteintes. L'absence de sécrétions lacrymales est responsable d'une extrême sécheresse de l'oeil, et les taches mousseuses de Bitot apparaissent sur la conjonctive bulbaire. Une cécité nocturne peut être associée. Des précisions supplémentaires comprenant le tt spécifique figurent sous Carence en vitamine A, Ch. 3.
KERATOCONE
Ectasie lentement évolutive de la cornée, habituellement bilatérale, débutant entre 10 et 20 ans.
La déformation en forme de cône de la cornée est responsable des perturbations majeures de la réfraction de l'oeil, nécessitant le changement fréquent des verres de lunettes. Les verres de contact permettent parfois une meilleure correction visuelle et doivent toujours être essayés si les lunettes ne donnent pas de résultats satisfaisants. La transplantation cornéenne peut être nécessaire si la vision avec des lentilles de contact adaptées n'est pas satisfaisante, si les lentilles ne sont pas tolérées, ou si une cicatrice cornéenne apparaît.
KERATOPATHIE BULLEUSE
Affection provoquée par un oedème de la cornée, due le plus souvent à la dystrophie de l'endothélium cornéen de Fuchs ou à un traumatisme de l'endothélium cornéen.
La kératopathie bulleuse se présente parfois après une lésion de l'endothélium cornéen provoquée par chirurgie intra-oculaire (p. ex. pour une cataracte), où il y a un traumatisme per-opératoire de l'endothélium cornéen ou un traumatisme de l'endothélium cornéen post-opératoire, induit par l'implantation d'une lentille intra-oculaire mal adaptée ou mal placée. Dans la dystrophie de Fuchs, la perte bilatérale et progressive des cellules endothéliales mène finalement à une kératopathie bulleuse dans la 6e ou 7e décade.
Les bulles liquidiennes apparaissent à la surface de la cornée et provoquent un trouble de la vision. Certaines ruptures de ces bulles produisent la sensation d'un corps étranger. Les bactéries peuvent envahir le siège d'une bulle rompue, qui peut être à l'origine d'un ulcère cornéen. Les bulles et l'oedème du stroma cornéen sont visibles à l'examen.
Le traitement, associant des agents déshydratants (p. ex. une solution physiologique hypertonique), parfois l'utilisation des agents qui abaissent la pression intra-oculaire et le port de lentilles souples, et la greffe de cornée, est du domaine du spécialiste.
TRANSPLANTATION CORNEENNE
(Greffe de cornée, kératoplastie pénétrante)
Procédure chirurgicale qui enlève la partie altérée de la cornée et qui lui substitue une partie de cornée de taille et de forme similaires obtenue chez un donneur sain.
Indications
Les transplantations cornéennes sont effectuées pour différentes raisons :
· optiques : pour améliorer les qualités optiques de la cornée et donc la vision ; p. ex. en substituant une cornée opaque/portant une cicatrice à cause d'une dystrophie cornéenne ou une cornée avec un astigmatisme irrégulier dû à un kératocône.
· reconstructive s: pour reconstruire la cornée anatomique et sauver l'oeil, p. ex. en remplaçant une cornée perforée.
· thérapeutique s: pour traiter une pathologie qui ne répond pas au tt médical afin de préserver l'oeil, p. ex. le tt d'un ulcère cornéen grave dont on ne contrôle pas l'infection, ou pour soulager la douleur, p. ex. réduire la sensation de corps étranger due à la rupture récidivante des bulles dans une kératopathie bulleuse.
Les indications les plus fréquentes sont, par ordre décroissant : la kératopathie bulleuse (pseudophakie, dystrophie endo-épithéliale de Fuchs, aphakie), le kératocône, les greffes répétées, la kératite/postkératite (virale, bactérienne, mycosique, Acantamba, perforation), et les dystrophies cornéennes.
Sélection du tissu du donneur
Le test de compatibilité du tissu n'est pas effectué en routine ou n'est pas nécessaire dans la majorité des transplantations de cornée. Le tissu cornéen de donneurs atteints des maladies suivantes n'est pas utilisé pour les transplantations : mort de cause inconnue, maladie de Creutzfeldt-Jakob, panencéphalite subaiguë sclérosante, leucoencéphalopathie multi-focale progressive, rubéole congénitale, encéphalite active, septicémie active, endocardite active, syphilis active, hépatite virale ou séropositivité, rage, séropositivité HIV ou haut risque d'infection à HIV, leucémies, lymphomes actifs disséminés, antécédents d'intervention chirurgicale sur le segment antérieur ou pathologique, et la plupart des tumeurs malignes intra-oculaires. Le sang du donneur est testé pour le HIV1, HIV2, les hépatites B et C. Le tissu des donneurs ayant une sérologie positive n'est pas utilisé.
Technique chirurgicale
Les transplantations cornéennes peuvent être effectuées sous anesthésie générale ou locale associée à une sédation IV. Afin de préparer le tissu de la cornée du donneur pour la transplantation, le chirurgien découpe un bouton cornéen de la partie centrale de la cornée du donneur en utilisant un trépan. Pour créer le lit receveur du bouton cornéen, le chirurgien enlève 60 à 80 % de la portion centrale de la cornée du receveur en utilisant un trépan et des ciseaux. Le bouton cornéen du donneur, qui est légèrement plus grand que le lit receveur, est ensuite suturé.
Gestion post-opératoire
Les antibiotiques topiques post-opératoires sont utilisés pendant plusieurs semaines et les corticoïdes topiques pendant plusieurs mois. Chez certains patients, l'astigmatisme cornéen peut être précocement réduit dans la période post-opératoire, par ajustement ou retrait sélectif de la suture. L'obtention d'un plein potentiel visuel peut prendre jusqu'à 1 an, à cause du changement de réfraction, de la guérison lente, et/ou d'un astigmatisme cornéen. Chez de nombreux patients, on obtient une meilleure vision plus tôt grâce à la pose d'une lentille de contact rigide sur le greffon cornéen. Pour protéger l'oeil de traumas accidentels après la greffe, le patient doit porter un cache, des lunettes, ou des lunettes de soleil. De plus, les patients doivent éviter de s'incliner complètement, de soulever des objets lourds, de faire des efforts, ou d'effectuer la manoeuvre de Valsalva.
Complications
Les complications comprennent l'infection (intra-oculaire et cornéenne), l'hémorragie intra-oculaire, l'ouverture de la plaie, le glaucome, le rejet ou l'échec de la greffe, la grande différence de réfraction (en particulier l'astigmatisme et/ou la myopie), et les récidives de la maladie, c.-à-d. la dystrophie cornéenne.
Le rejet n'est pas rare. Les patients se plaignent d'une diminution de la vision, de photosensibilité, de douleur et de rougeur oculaire. Le rejet est traité par des corticoïdes, administrés par voie topique (p. ex. acétate de prednisolone 1 %, toutes les heures), souvent associés à une injection périoculaire supplémentaire (p. ex. méthylprednisolone 40 mg). Si le rejet est grave ou si la fonction de la greffe est marginale, des corticoïdes supplémentaires sont administrés par voie orale (p. ex. prednisone 1 mg/kg/j) et parfois en IV (p. ex. méthylprednisolone sodium succinate de 3 à 5 mg/kg, 1 fois). Dans la majorité des greffes qui ne sont pas à haut risque, l'épisode de rejet est facilement réversible, et la fonction de la greffe est à nouveau complètement remplie. La greffe peut échouer si le rejet est inhabituellement grave ou durable ou après des épisodes de rejet multiples. Une nouvelle greffe est possible, mais le pronostic à long terme d'une nouvelle greffe est plus faible que pour la première.
Pronostic
Le pronostic pour une transplantation cornéenne qui fonctionne dépend du diagnostic. La probabilité d'un succès de la transplantation à long terme est > 90 % pour les kératocônes, les cicatrices cornéennes, la kératopathie bulleuse débutante, ou la dystrophie cornéenne ; de 80 % à 90 % pour la kératopathie bulleuse ou la kératite virale non active, de 50 % pour l'infection cornéenne active, et de 0 à 50 % pour les lésions chimiques ou d'irradiation.
Le taux de succès élevé des transplantations cornéennes est attribué à de nombreux facteurs, dont le fait que la cornée n'est pas vascularisée et que la chambre antérieure possède un drainage veineux mais pas de drainage lymphatique. Ces situations favorisent une tolérance faible et un processus actif dit de déviation immune associé de la chambre antérieure, dans lequel on observe une suppression des lymphocytes intra-oculaires et une hypersensibilité retardée aux Ag intra-oculaires transplantés. Un autre facteur important est l'efficacité des médicaments immunosuppresseurs utilisés pour traiter le rejet.